Ma première mission humanitaire par Erik

Jeune chirurgien plasticien tout juste diplômé, j’exerce actuellement la chirurgie plastique reconstructrice à l’Hôpital Georges Pompidou, à Paris. Depuis le début de mes études de médecine, partir en mission humanitaire a toujours été l’un de mes souhaits. C’est donc avec un immense plaisir que j’ai accepté d’accompagner le Dr Patrick Knipper sur cette mission au Sénégal, qu’il organise dans le cadre de son association Interplast France Chirurgie Sans Frontières.

C’était pour moi un premier contact avec l’Afrique subsaharienne, et ma toute première mission humanitaire. Je me préparais au départ avec un mélange d’appréhension et d’excitation. À l’hôpital Georges Pompidou, en plein cœur de Paris, mon travail consiste en grande partie à réaliser des interventions complexes de reconstruction microchirurgicale, que ce soit pour le sein, les membres ou le visage, dans un environnement doté de moyens techniques de pointe : microscope opératoire, blocs ultramodernes, imagerie avancée (scanner, IRM). Partir en mission dans un contexte totalement différent soulevait donc de nombreuses questions : quelles pathologies allais-je rencontrer ? Dans quelles conditions allions-nous opérer ? Allais-je être à la hauteur ? Est-ce que j’allais aimer cette expérience ou au contraire la subir ? Mais très vite, l’enthousiasme a pris le dessus, porté par l’envie de sortir de ma zone de confort et de me confronter à une autre réalité de la chirurgie.







Le jour du départ, j’ai rencontré à l’aéroport le reste de l’équipe : Patrick Antoine, anesthésiste engagé depuis 30 ans dans l’association Interplast, ainsi que Christèle et Anne-Carole, deux infirmières expérimentées et habituées à ce type de mission. Tout le matériel nécessaire tient dans six malles : instruments, bistouri électrique, stérilisateur, scope, médicaments… Chaque élément a été soigneusement sélectionné, fruit de trente années d’expérience sur le terrain, pour offrir le maximum de mobilité à l’équipe. Après un vol vers Dakar, puis quelques heures de taxi-brousse sur les routes bordées de baobabs, nous arrivons le lendemain à Diama, dans la région de Saint-Louis, au sein du dispensaire de la Société de Culture Légumière (SCL). Depuis plus de quatre ans, le dirigeant de cette société Michael Laurent finance, organise et met à disposition ses locaux pour les missions de chirurgie plastique. À mon arrivée, je suis très agréablement surpris par la qualité des installations : les lieux sont propres, spacieux, et bien aménagés. Une salle opératoire équipée de deux tables, une salle de réveil, deux salles de consultation, une pièce dédiée à la stérilisation du matériel, et même la climatisation. Patrick m’explique qu’à la première mission, tout se passait dans un simple container aménagé. En quelques années, des progrès impressionnants ont été réalisés.


La première journée est consacrée aux consultations. La mission a été largement annoncée sur les réseaux sociaux et relayée par la presse locale, grâce au soutien actif du service médical de la SCL, ce qui a permis d’assurer une forte mobilisation des patients. Deux tentes ont été installées à l’extérieur pour accueillir les files d’attente, patients et accompagnants. Nous en en avons vu environ 150, venus consulter pour des pathologies très variées : séquelles de brûlures chez l’enfant, malformations du visage ou des mains, becs-de-lièvre, tumeurs de toutes tailles et localisations. Le dépaysement est total. Si la chirurgie plastique reste l’une des dernières chirurgie « générale », elle n’échappe pas, à Paris, à une hyperspécialisation : les grands brûlés, les pathologies infantiles ou encore la chirurgie de la main sont pris en charge dans des centres de référence bien distincts. Ici, tout se mêle et l’approche est avant tout clinique : très peu de patients bénéficient d’une imagerie préopératoire. L’enjeu est aussi plus important. Un patient que nous n’opérons pas est souvent un patient qui ne sera jamais opéré, faute de spécialistes ou de moyens financiers. Le médecin local qui nous accompagne nous confie qu’une pathologie même bénigne mais visible peut amener à une exclusion sociale. À la fin de cette journée intense, le programme opératoire est complet pour toute la semaine, alternant chirurgies lourdes sous anesthésie générale et interventions plus simples sous anesthésie locale.


Les jours suivants étaient entièrement consacrés à opérer. La chirurgie est une discipline ritualisée, elle peut devenir déstabilisante lorsqu’on quitte son cadre habituel. Il faut s’adapter en permanence : à l’espace, au matériel, aux imprévus. Certaines interventions pourtant simples peuvent devenir éprouvantes dans des conditions précaires, une lampe frontale déchargée ou un bistouri défectueux peuvent suffire à désorganiser toute une journée. Faire face à ces aléas, ou à des opérations qu’on ne pratique pas régulièrement exige une rigueur et une vigilance accrues par rapport à l’accoutumée. Dans la chirurgie humanitaire, beaucoup de choses sont à réapprendre. J’ai eu la chance d’être guidé par un chirurgien et une équipe expérimentées, car s’approprier un environnement inconnu, concilier la culture locale avec nos compétences occidentales, demande une réelle capacité d’adaptation et une approche que seule l’expérience peut transmettre. Le compagnonnage y est plus que jamais fondamental. Les journées étaient chargées mais ponctués de moment de convivialité, une bonne ambiance, l’occasion de relâcher la pression et de reprendre des forces.



Le dernier jour était consacré aux pansements : nous avons revu tous les patients opérés au cours de la semaine, afin de nous assurer que les suites se déroulaient correctement avant notre retour en France. C’était aussi l’occasion de mesurer concrètement l’impact de notre action. Un jeune garçon, dont les doigts étaient rétractés par une brûlure, parvenait désormais à ouvrir la main normalement. Il pourra jouer, écrire, travailler comme les autres. Une petite fille, opérée d’une fente labiale, pouvait s’alimenter sans difficulté. Elle ne sera plus mise à l’écart à l’école et pourra grandir sans être stigmatisée. Même si la barrière linguistique existait, la joie et la reconnaissance se lisaient sans effort sur les visages. Si notre contribution reste modeste à l’échelle des enjeux sanitaires du pays, son effet est immense à l’échelle individuelle.



Cette première mission humanitaire a été pour moi une expérience exceptionnelle. Elle m’a permis de retrouver une forme d’authenticité dans la pratique chirurgicale : une équipe restreinte, une nécessité constante d’adaptation, des liens de compagnonnage et un impact direct sur les patients. Cette mission m’a profondément marqué, tant sur le plan humain que professionnel, et a renforcé ma volonté de m’engager durablement dans la chirurgie humanitaire.



Je remercie grandement le Dr Patrick Knipper et toute l’équipe d’Interplast France Chirurgie Sans Frontières de m’avoir offert l’opportunité de vivre cette première expérience. Je remercie également Michael Laurent, PDG de la SCL, pour son accueil chaleureux et son engagement auprès des populations locales. Enfin, je tiens à exprimer toute ma gratitude au personnel médical local pour leur aide logistique, leur accueil, et la continuité des soins prodigués aux patients.


Dr Erik Zanchetta chirurgien plasticien à l’Hôpital européen Georges Pompidou, APHP, Paris

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